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Certains lieux privilégiés possèdent encore de rares survivants de la facture d'orgue française des XVIIe et XVIIIe siècles. Témoins impassibles des guerres et des révolutions qui jalonnent notre histoire, certains ont pu subsister sans trop de dommages jusqu'à nos jours : l'orgue de Notre-Dame de Guibray à Falaise est de ceux-là, et nous pouvons nous en réjouir car il a conservé la plus grande partie de son matériel ancien, ses quatre claviers en os et en ébène, sa mécanique d'origine, aussi souple que celle d'un clavecin, une grande partie de ses tuyaux et son buffet d'une élégante sobriété.

Qu'il s'agisse des orgues de Saint Sauveur du Petit Andely (1674), de Houdan (1735), de Falaise (1746), de Dole (1753), de Poitiers et de Saint Maximin du Var, nous serons séduits par la qualité très particulière des timbres, la diversité et surtout la couleur des jeux, la puissance " aérée " et la noblesse de ces instruments. Tous ces éléments dessinent de larges fresques musicales où chauqe détail a son importance : la vue et l'ouie sont également sollicitées.

L'orgue français s'apparente à la peinture mais aussi comme nous le verrons plus tard à l'Opéra. Un coup fatal lui sera porté au XIXe siècle par l'apparition de l'orgue romantique, et surtout symphonique, où la priorité est donnée à des groupements de jeux " expressifs " pour la plupart destinés à rappeler les effets orchestraux - non sans danger - car l'emphase est parfois inévitable.

Ainsi notre oreille moderne doit-elle s'exercer à redécouvrir les timbres si particuliers des différents instruments anciens, à s'adapter aux tempéraments inégaux, aux diapasons, en un mot à redécouvrir un univers aux termes insolites qui entoure surtout l'orgue classique français. D'où la nécessité de présenter l'instrument et les oeuvres, comme nous l'avons fait avant chaque concert d'été.

Il faut noter que l'orgue garde son individualité jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, en Allemagne, aux Pays Bas, en Italie, en Espagne, en France. La diversité et la richesse de ces instruments permettent l'éxécution d'oeuvres très typées mais pas toujours en rapport avec la liturgie. Dans les pays protestants, la participation de l'orgue au culte est essentielle : sa composition est, avant tout, conçue pour l'accompagnement des Psaumes, l'improvisation et l'exécution de grandes pièces en relation avec le Service du jour.

En France, les pièces d'orgue très courtes alternent avec le plain-chant, et les " Messes " n'ont pas toujours un rapport très étroit avec la liturgie. Sous la sévérité de rigueur, on perçoit chez beaucoup de compositeurs un désir de plaire au roi et aux fidèles, et soudain nous voici transportés à l'Opéra ou la Cour : les " entrées ", les " airs ", voire les danses, transparaissent dans les " duos, récits, dialogues ", ou dans les " tierces et les cromornes en taille ", pièces superbes, souvent émouvantes ou dramatiques, assurément plus profanes que religieuses. Ainsi, la composition de l'orgue sera-t-elle conforme à ces impératifs : jeux d'anches (trompettes, clairons) très éclatants, jeux de récits tendres ou hauts en couleur (nazard, cromorne, voix humaine, cornet), plein-jeux fournis et étincelants.

Une " suite " ou une " Messe " comprend généralement des préludes ou plein-jeux, des fugues, des duos, des trios, des récits de cornet, de nazard, de tierce, de cromorne, des dialogues de récit (Nivers, Raison) qui sont de véritables conversations, des grands dialogues à deux ou quatre choeurs (Nivers, Boyvin), sans oublier les récits de cromorne ou de tierce en taille, compositions exclusivement françaises où soit le cromorne, soit le jeu de tierce remplace le " grand air " d'un ténor d'opéra.

La musique d'orgue française des XVIIe et XVIIIe siècles est surtout vocale, et l'on a souvent associé les oeuvres de Jacques Boyvin (organiste à la cathédrale de Rouen) à celles de Marc-Antoine Charpentier.

L'opéra est donc bien souvent omniprésent dans les sanctuaires et le mélomane du Xxe siècle, le passionné d'opéras baroques, sera bien surpris d'apprendre que la musique d'orgue en est toute proche, seul le lieu diffère, mais l'absence de mise en scène le rend moins captivant. Ceci dit, il ne faut surtout pas sous-estimer le rôle religieux de l'orgue dans la liturgie : son intervention est primordiale car il indique comment l'office va se dérouler, en alternance avec les versets de plain-chant car c'est par son intermédiaire que les chrétiens implorent, expriment leur joie ou dialoguent avec Dieu.

A part les " offertoires ", les pièces d'orgue sont généralement courtes et très diversifiées, comme nous l'avons vu précédemment. Ajoutons qu'à cette époque les offices étaient très longs et duraient plus de deux heures. De nos jours, une " reconstitution de messe du XVIIe siècle ", sans service religieux, requiert plus d'une heure d'exécution.

L'apport profane dans la musique religieuse se fait également sentir dans les " Noêls ". A cette époque, la convivialité était importante; on se réunissait et l'on chantait beaucoup autour d'un repas, à l'atelier, à l'église. Or il arrivait que l'on se trompât d'air et de paroles : le chant religieux du matin devenait alors chant profane et vice-versa. C'est ainsi que des chansons " à boire " sont à l'origine de nombreux Noëls.

Ces quelques aperçus sur le rôle de l'orgue aux XVIIe et XVIIIe siècles laissent entrevoir des zônes de lumière et d'ombre sur les témoins de cette époque. Comment réagissaent-ils ? Etaient-ils si différents de nous ? On les imagine frivoles, indifférents ou austères. Les oeuvres de Pascal, de Corneille, de Racine, Molière ou de la Fontaine nous apportent des réponses sur la pérennité des sentiments, des comportements. La musique, elle, est abondamment fustigée par Bossuet quand elle " s'insinue dans les coeurs pour y provoquer les pires méfaits ". Quant à la musique religieuse, elle peut être bouleversante : Madame de Sévigné écrit : " Il y eut un Libera où tous les yeux étaient pleins de larmes " et Viéville de la Freneuse (1705) spécifie : " La musique d'église doit être expressive. La science de la musique et de la musique d'église, plus que la profane, n'est autre chose que la science d'émouvoir vivement et à propos ".

Le mot " passion " intervient fréquemment dans les analyses musicales de l'époque. Il faut " se passionner dans l'exécution et donner de l'âme à son jeu. Point de musique si elle ne va au coeur et n'y porte de l'émotion " (Mollien, 22 janvier 1792). Déjà en 1552 Petit Coclicus écrivait " le compositeur doit être poussé à écrire par un élan impétueux au point d'en perdre le boire et le manger jusqu'au moment où le morceau est terminé ".

Ainsi ces compositeurs, ces interprètes, ces spectateurs auront-ils été eux aussi soumis aux passions et aux émotions, mais ils resteront attentifs à ne pas déroger au " bon goût " si cher à François Couperin.

"Le bon goût détermine souvent à des choses dont on ne peut donner d'autre raison que le goût même " (M. de Saint Lambert, 1702).

Yvonne GIDE

Présidente de l'Association des Amis de l'orgue de Notre-Dame de Guibray.

Les compositeurs :

Consultez la section de ce serveur consacrée aux compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles.

Ouvrages de référence :

Eugène Borrel : L'interprétation de la musique française de Lully à la Révolution (Alcan 1934).

Philippe Beaussant : Vous avez dit " baroque " ? (Actes Sud, 1988).


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Auteur JP Date 02/08/96 11:14:59